Historique, vocabulaire, perception
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L'évolution de la perception du risque et de son acceptation

Une demande croissante de maîtrise des risques

Pour la première fois, une enquête d'opinion (Mutualité Française-IFOP) publiée en octobre 2001 visait à cerner la façon dont les français appréhendent les risques quotidiens (Express, 2001). A la question « pour chacun des points suivants, estimez-vous que, là où vous vivez et de la façon dont vous vivez, il représente pour vous personnellement, un risque très grand, assez grand, faible ou nul ? », les réponses ont été les suivantes :

Tableau 3.14 : Appréciation du risque dans le grand public.
Tableau 3.14 : Appréciation du risque dans le grand public.

Les enquêteurs ont noté la généralisation du sentiment d'exposition au risque. Les chiffres permettent aussi de relativiser la phobie de la viande de bœuf que la « vache folle » aurait engendrée à l'époque de l'enquête chez les consommateurs. Les risques techniques révèlent une plus forte sensibilisation.

Une réponse politique : le principe de précaution

La Loi Barnier du 2 février 1995 a été rédigée à la suite de plusieurs catastrophes naturelles. Elle est relative au renforcement de la protection de l'environnement. Le principe de précaution est traduit sous la forme suivante : « L'absence de certitudes, compte-tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement, à un coût économiquement acceptable ».

Ces dernières années, un certain nombre de dossiers dans les domaines des transports, de la santé publique et de l'alimentation (affaires du sang contaminé, de la vache folle, des hormones de croissance, culture des OGM, explosion de l'usine AZF, incendie du tunnel du Mont-Blanc...) ont conduit à poser et à formaliser le « principe de précaution », en élargissant son champ d'application aux risques sanitaires et alimentaires (Kourilsky, 1999). Aujourd'hui, plus aucun champ d'activité ne peut être exclu de ce principe.

Définition : Précaution

La précaution qualifie une manière d'agir avec prudence, pour éviter un danger potentiel ou hypothétique ou en diminuer les effets. Au contraire la prévention, s'applique aux risques avérés.

Définition : Principe de précaution

Le principe de précaution définit l'attitude que doit observer toute personne (ou collectivité) qui prend une décision concernant une activité dont on peut raisonnablement supposer qu'elle comporte un danger grave pour la santé ou la sécurité des populations et de leur environnement présents ou à venir.

Le principe de précaution doit faire prévaloir les impératifs de santé et de sécurité sur la liberté des échanges entre particuliers et entre États. Il commande de prendre toutes les dispositions permettant, pour un coût économiquement et socialement supportable, de détecter et d'évaluer le risque, de le réduire à un niveau acceptable et, si possible, de l'éliminer, d'en informer les personnes concernées et de recueillir leurs suggestions sur les mesures envisagées pour le traiter. Ce dispositif de précaution doit être proportionné à l'ampleur du risque et peut être à tout moment révisé.

Bien qu'il en existe plusieurs variantes dans le monde, le principe de précaution soutient généralement que, en présence d'une grande incertitude scientifique et d'une possibilité d'effets défavorables importants (mais possiblement imprévus), la prise de décisions administratives doit pécher par excès de prudence. Sa mise en œuvre concrète repose donc sur la nécessité de développer une culture du risque chez l'ensemble des acteurs, qui ne se réduise pas à la peur de l'incertain.

La Commission européenne, dans sa communication du 2 février 2000, sur le recours au principe de précaution, considère qu'il ne peut être invoqué que dans l'hypothèse d'un risque potentiel, il ne peut en aucun cas justifier une prise de décision arbitraire. Le recours au principe de précaution n'est donc justifié que lorsque trois conditions préalables sont remplies :

  • l'identification des effets potentiellement négatifs,

  • le caractère incomplet des données scientifiques disponibles,

  • l'étendue de l'incertitude scientifique.

En février 2005, le Parlement français a inscrit dans la Constitution la Charte de l'environnement, installant par là-même le principe de précaution au niveau le plus élevé de la hiérarchie des normes juridiques :

« Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veilleront, par application du principe de précaution, et dans leurs domaines d'attribution, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage » (article 5).

Comment concilier innovation et précaution ?

Le principe de précaution est le signe de la responsabilité face à de nouveaux risques. Il impose de nouveaux devoirs à un grand nombre d'acteurs : scientifiques, producteurs de biens et de services publics et privés, administrations, journalistes, politiques. Il implique la mise en place de dispositifs socio-techniques de définition et de gestion collectives de l'acceptabilité des risques, par exemple pour l'exposition aux rayonnements ou aux risques naturels.

Mis en pratique de manière non réfléchie, le principe de précaution est aussi potentiellement porteur de replis frileux. Comment le traduire en normes concrètes sans qu'il ne devienne un frein à l'action ou à l'innovation ? (Melacca, 2004).

Il n'est pas possible d'interpréter le principe de précaution de manière trop simpliste, telle que « si vous ne savez pas, ne faites pas ». Ainsi, par exemple, nous devons faire face aux problèmes de sécurité induits par le vieillissement d'ouvrages anciens (tunnels maçonnés du XIXème siècle, ponts...), avec des crédits limités. Les maîtres d'ouvrages doivent faire des choix, et les ingénieurs proposer des solutions techniques. La prise de risque est, dans un tel domaine, nécessaire.

Pour les constructions neuves, ou les procédés innovants, le frein potentiel existe aussi. Si dans d'autres industries le prix des prototypes est intégré dans les programmes de développement des produits, dans la construction, les prototypes sont souvent les grands ouvrages eux-mêmes. C'est leur construction qui, par l'emploi de nouveaux matériaux, de nouvelles solutions techniques, constitue le cœur de l'innovation.

Le principe de précaution ne doit pas signifier l'abandon de la volonté d'exploration. La vision libérale de l'économie considère que le principe de précaution constitue un carcan. Ainsi, les experts de la « Commission pour la libération de la croissance française », mise en place par le président N. Sarkozy et présidée par Jacques Attali ont rendu leur rapport en octobre 2007. Dans ce rapport ils recommandent l'abandon du principe de précaution, qui devrait être supprimé de la Constitution. Il faut au contraire reconquérir, par des formes démocratiques de gestion de la décision, notre capacité à transformer la menace en risque (Ewald, cité par (Reverchon, 2001)).

Le risque, objet de science ?

Se replaçant dans un contexte historique [Kervern, 2000] distingue de façon caricaturale trois époques dans l'approche du danger par les sociétés :

  • l'âge du sang, ou l'on sacrifiait humains et animaux pour s'assurer que le soleil se lèverait le lendemain,

  • l'âge des larmes, celui des processions religieuses, où prières et expiation visaient à se prémunir des dangers,

  • l'âge des neurones, au cours duquel le danger devient un objet de rationalisation .

Avec la multiplication de quelques catastrophes industrielles (Seveso, Bhopal, Tchernobyl, Challenger...), on a progressivement réalisé qu'il n'était plus suffisant d'invoquer le hasard ou la fatalité. En 1979, Patrick Lagadec a introduit le concept de risques technologiques majeurs. En 1987 s'est tenu à l'UNESCO le premier colloque international Cindynics, réunissant 1 475 participants issus de 30 secteurs industriels.

Progressivement le danger est ainsi devenu objet d'une étude rationnelle et la cyndinique s'est constituée en tant que discipline scientifique : la cyndinique est la science du danger. Elle étudie simultanément la perception du risque et des probabilités par les individus et les groupes et fait la critique de l'usage idéologique des modèles mathématiques utilisés pour fonder, expliquer et décrire la rationalité des comportements et des politiques. La cyndinique vient ainsi compléter la productique, la mercatique et toute la liste des ‘-iques' qui remplacent les ‘-ismes' des années 60, la pertinence et la richesse conceptuelle de ces disciplines nouvelles restant parfois à prouver [Dacunha-Castelle, 1998].

La cyndinique propose d'explorer le danger selon cinq dimensions : la base des faits (statistiques), les modèles (physique), les objectifs (politique, économique), les normes et recommandations (technique), les valeurs (éthique). Nous avons vu qu'il convient de ne pas oublier non plus les dimensions psychologiques ou sociologiques.

Nous avons vu que le regard que porte chacun sur les risques dépasse une dimension purement quantitative. La perception des risques est influencée par de nombreux facteurs, que l'on peut réduire à trois dimensions principales : la nature de la menace (difficile à prévenir ou à réduire, inéquitable, à caractère impersonnel...), la familiarité avec le problème (sa connaissance, l'immédiateté des conséquences, l'habitude...), le nombre de personnes exposées [Slovic, 2000, cité par Corotis, 2003].

Développer la culture du risque chez les ingénieurs, ce n'est pas se limiter à maîtriser le calcul des probabilités. L'ingénieur devra donc accepter qu'il n'existe rien que l'on puisse qualifier de « risque objectif » et adapter sa démarche et sa pratique quotidiennes à cette situation.

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