Toute construction est conçue pour se comporter convenablement dans un certain environnement de sollicitation, que cet environnement constitue sa raison d'être principale (les actions du trafic sur un pont, ou les chutes de rochers sur un ouvrage de protection contre les avalanches), ou qu'il soit « accidentel » (une tempête, une chute de neige exceptionnelle, un séisme ou une explosion...). L'ouvrage de génie civil doit à la fois protéger efficacement les usagers des actions extérieures et ne pas constituer lui-même une menace pour ces mêmes usagers, du fait d'une défaillance éventuelle.
Le rôle que tiennent les ouvrages de génie civil face aux risques ne peut donc pas être abordé de manière simpliste : les constructions peuvent être la cause d'agressions de l'environnement ou, au contraire, être conçues pour le protéger (Deneufbourg, 2000). Placer un ouvrage dans le milieu naturel, c'est lui attacher, de fait, un environnement (géotechnique, hydrologique, climatique) susceptible de l'agresser : actions du vent, du gel, des mouvements de terrain, des crues... Mais urbaniser ou aménager l'espace peut aussi modifier les équilibres naturels et donc, potentiellement, les actions de l'environnement.
Les ouvrages de génie civil sont soumis aux risques induits par des aléas environnementaux : vents de tempêtes, chutes de neige exceptionnelles, séisme, inondations catastrophiques... Face aux risques d'origine naturelle comme face à ceux d'origine technologique (explosions, pollutions...), on attend a priori que le génie civil assure notre protection... C'est, heureusement, le cas dans la plupart des situations : les ouvrages qui satisfont les usagers sont, comme les trains, plus nombreux que ceux qui ne fonctionnent pas, mais les défaillances existent, comme l'ont montré par exemple les conséquences des tempêtes de décembre 1999 sur les pylônes des lignes à haute tension. Au-delà des aspects cataclysmiques que peuvent revêtir les actions de l'environnement, n'oublions pas des phénomènes qui, pour être moins spectaculaires ont, de par leur grande fréquence, des conséquences non négligeables, comme par exemple les mouvements de sols dus à la sécheresse qui peuvent créer des désordres significatifs sur les constructions.
On entend parfois dire que, face à un « bétonnage excessif », la nature « reprend ses droits » : une inondation ou un glissement de terrain qui n'aurait rien de catastrophique dans un milieu naturel peut avoir de graves conséquences si ce même milieu a fait l'objet d'une urbanisation non réfléchie. Les « droits de la nature » peuvent être soumis à rude épreuve lors d'aménagements anarchiques, lorsque la construction d'un barrage induit la noyade d'une vallée entière, lorsque le creusement d'un tunnel affecte les immeubles de surface ou lorsque des aménagements littoraux modifient les mécanismes de sédimentation dans la frange littorale. L'impact de la construction peut donc se faire sentir sur le paysage, en surface ou en profondeur.
L'ouvrage de génie civil, comme le Janus de la mythologie, a donc deux visages : il protège mais il peut aussi constituer une menace. Il est usuel de dire que les séismes n'ont jamais tué personne : c'est l'effondrement des habitations et des ouvrages qui, consécutivement au séisme, génère les dégâts. Plus grave, l'ouvrage est parfois lui-même source de danger : l'effondrement d'un pont en conditions normales d'exploitation 5 , la rupture brutale d'un barrage, l'explosion d'un silo, peuvent être la cause de la catastrophe. Le génie civil devient alors source de risque technologique.
Pour résumer, l'interaction entre le(s) risque(s) et les ouvrages de génie civil peut être étudiée en considérant trois situations :
l'ouvrage est conçu pour diminuer le risque : digue protégeant des inondations, ouvrage paravalanche, mur de soutènement pour une pente instable...,
l'ouvrage est soumis au risque : c'est bien entendu le cas des ouvrages cités ci-dessus mais plus généralement de tous les ouvrages, que le risque provienne de phénomènes naturels exceptionnels (cyclones, crues...) ou d'actions d'exploitation plus courantes,
l'ouvrage est générateur potentiel de risque : c'est le cas d'ouvrages prestigieux (barrages, centrales nucléaires, tunnels...) mais aussi des constructions les plus simples qui peuvent, par leur seul effondrement, avoir des conséquences catastrophiques.
La réalité ne se prête qu'imparfaitement à ce découpage artificiel et les interactions entre la nature et la technique sont plus riches. Au XXème siècle, l'action de l'homme a conduit à modifier significativement l'environnement. Il n'est pas nécessaire d'aborder la question du réchauffement planétaire (« global warming ») pour constater que les phénomènes naturels ne le sont plus totalement... Les inondations fréquentes, telles celles subies dans la Somme au début de l'année 2001 résultent certes de précipitations exceptionnelles, mais aussi de modifications d'origine humaine : changement de pratiques agricoles, plus ou moins bon entretien des canaux et des réseaux de drainage, imperméabilisation des sols liée à l'urbanisation...
Dans un autre domaine, les mouvements de sols liés à des effondrements de cavités souterraines peuvent être perçus comme des phénomènes naturels. Or, nombre de ces cavités résultent de l'exploitation de ressources minérales il y a quelques centaines ou dizaines d'années :
les extractions de pierre de construction à la périphérie des villes d'il y a deux siècles génèrent aujourd'hui des risques pour les constructions de ces mêmes agglomérations,
les anciennes marnières menacent de nombreuses communes de Normandie...),
les exploitations minières abandonnées sont une source de danger dans le Nord et l'Est de la France...
La dimension temporelle est, à l'heure où l'on parle de développement durable, une dimension essentielle de la problématique du risque. C'est l'oubli du danger qui est dans ce cas à la source du danger.
La situation est parfois plus complexe encore. L'anthropisation du milieu, à laquelle le génie civil contribue, modifie le risque. Par exemple en hydrologie, un même aléa pluviométrique (pluie de durée et d'intensité donnée) a des conséquences hydrologiques différentes selon les caractéristiques géographiques, morphologiques et urbanistiques du bassin-versant (naturel, péri-urbain, urbain...) sur lequel la pluie tombe. Le temps de concentration des eaux diminuant pour les milieux urbanisés (l'infiltration est moindre et le ruissellement accru), une pluie de courte durée et de hauteur précipitée donnée peut avoir les mêmes effets en termes de lame d'eau qu'une pluie plus intense (et donc plus rare) en milieu naturel. Cela conduira à considérer des événements naturels (aléas) différents si le même degré de protection est visé dans les deux situations [Favre, 1998].
La prise de conscience de la dimension « risques et sécurité » des ouvrages de génie civil est relativement récente. Un siècle de culture scientiste avait conduit à mettre en place des programmes de formation en école d'ingénieurs ou à l'université qui rendaient les étudiants aptes à concevoir et à construire des ouvrages neufs. Ce n'est que depuis une vingtaine d'années que des concepts tels que dégradation, gestion patrimoniale, risque, environnement... ont fait progressivement leur apparition dans ces programmes, sous la pression de la réalité : l'étude d'un ouvrage n'a de sens que dans un environnement (climatique, chimique, mécanique...) susceptible d'exercer sur lui des actions complexes. L'ouvrage peut être conçu de façon satisfaisante à l'origine mais voir ses performances se dégrader au fil du temps. Les compétences attendues des ingénieurs, et donc les contenus des formations s'adaptent donc progressivement à cette nouvelle situation.
Sans réduire la défaillance à la rupture brutale et catastrophique, nous verrons comment la prise en compte, dès la phase de conception, des défaillances possibles doit conditionner la logique d'analyse de l'ingénieur, de manière à mieux répondre à l'ensemble des exigences que l'on a pour les ouvrages.