Historique, vocabulaire, perception
CoursOutils transverses

Approche économique de la sécurité.

Les raisons d'une approche économique.

(cf. chapitre précédent) Selon la théorie de l'utilité, les choix des agents économiques reposent sur la maximisation de la fonction d'utilité. Le formalisme de l'utilité permet d'attacher un équivalent monétaire à tout bien, matériel ou non et à toute ressource. Il peut donc être utilisé pour comparer différentes solutions. Dans le domaine de la santé, Weinstein [Weinstein, 1988] a montré que l'adoption de précautions par les individus dépend de :

  • la susceptibilité perçue (l'occurrence estimée des événements défavorables),

  • la sévérité perçue (le risque estimé, découlant de la vulnérabilité),

  • l'effectivité perçue de la précaution (l'efficacité des parades),

  • les coûts perçus de la précaution (en argent, en temps, en efforts requis...).

Ainsi, inconsciemment, et sans formalisation, une démarche d'optimisation économique semble guider le comportement individuel face au risque ! L'idée est que la collectivité, comme l'individu, cherche à améliorer la sécurité si les conséquences des défaillances sont trop coûteuses. A l'inverse, si le coût des défaillances évitées est inférieur au coût de mesures de sécurité plus sévères, on jugera que la sécurité est suffisante. Ces coûts et le degré d'acceptabilité varient en fonction du contexte socio-économique et de l'aversion des acteurs.

Ainsi, dans le domaine des transports aériens, l'organisation de l'aviation civile internationale garantit un risque de l'ordre d'un accident pour 100 000 décollages. Il existe cependant des disparités selon les compagnies, car la sécurité a un coût. Ainsi, des statistiques établies sur un million de vols depuis 1970 révèlent l'absence d'accidents d'accidents pour certaines compagnies (SAS, Qantas...) et des taux très élevés pour d'autres (AeroPeru, Cubana, China Airlines...) [Sciences et Avenir, 7-1998].

De telles disparités existent dans le domaine de la sécurité routière. L'analyse de données britanniques et belges11 (ces données ne sont pas disponibles en France) montre que la probabilité de décéder des suites d'un accident dépend du modèle de véhicule utilisé. Un facteur 3 est relevé entre les modèles les moins sûrs (Citroën 2CV et Dyane, Fiat 126, Rover Mini, Fiat Panda) et les modèles les plus sûrs (Mercedes 200 et 300, Volvo 200 et 700, Peugeot 505). Nous reviendrons plus loin sur les considérations éthiques que de tels chiffres peuvent susciter.

11 http://securiteroutiere.info/autos.html, page consultée le 18 mars 2008.

Les bases du formalisme économique

On peut formuler le problème de risque comme un problème de décision économique dans lequel on étudie la relation entre la probabilité d'accident et le coût de la solution.

Supposons que la variable soit la probabilité de défaillance du système (pF). Une faible probabilité correspond à un système sûr, et une forte probabilité à un système peu sûr. On peut exprimer le coût de conception et de construction du système C1(pF) : en considérant que plus le système est sûr, plus son coût sera élevé, C1(pF) apparaît donc comme une fonction monotone croissante.

A ce coût de conception et de construction, il convient d'ajouter le coût résultant des défaillances : si la probabilité de défaillance est pF sur la durée d'étude et si le coût unitaire de la défaillance est S (coût des dommages résultant des défaillances), le coût des défaillances s'écrit S pF. Il décroît naturellement quand le degré de sûreté du système augmente.

Ainsi le coût total s'exprime

C = C1(pF) + A (S pF)

où A est un opérateur d'actualisation économique.

La solution optimale est obtenue en recherchant le minimum de cette fonction. Bien entendu, on peut enrichir l'expression des coûts, de façon à intégrer des coûts dérivés, comme le coût de maintenance (lui aussi fonction du degré de sûreté), ou préciser l'expression de la fonction S. Ainsi, on peut par exemple écrire S sous la forme :

S = So + pD/F. N . s

où So est le coût des dommages matériels, N l'effectif de la population affectée par la défaillance, s est la valeur économique que l'on attache à chaque individu et où pD/F est la probabilité pour qu'un individu soumis au danger soit en réellement touché.

Voir Exercice 4.1 ci-dessous.

Rôle du contexte économique

Reprenons l'exercice précédent pour voir comment le contexte économique peut conditionner la solution optimale :

Voir ci-dessous : Exercice 4.2 : Rôle du contexte économique.

Exemples d'application du formalisme économique à la sécurité des constructions

Exemple :

Pour illustrer l'approche socio-économique des risques, on cite fréquemment l'exemple de l'aménagement des digues protégeant les Pays-Bas d'une submersion par les eaux de la Mer du Nord et des fleuves (Rhin et Escaut). A la suite d'inondations catastrophiques (1 863 morts et 9 000 bâtiments détruits le 1er février 1953), la volonté politique fut de rendre une future catastrophe impossible. Mais les ingénieurs démontrèrent que cet objectif était irréaliste et un compromis fut trouvé, le dimensionnement des ouvrages reposant sur le caractère explicite des critères de décision technico-politiques.

Le Delta Committee fut mis en place par le Ministère des Transports et des Voies Navigables pour réfléchir à un nouveau système de défense contre les inondations venant de la mer et des cours d'eau [Van Dantzig, 1954, Hubert, 1999]. Le choix de l'optimum retenu correspondait aux hypothèses suivantes :

  • période de retour choisie pour la crue dont on souhaite se protéger : 10 000 ans, ce qui correspond à un niveau des eaux supérieur de 5 m au niveau de la mer (résultant des effets astronomiques et des effets du vent) 7 , pour le centre du pays et 4 000 ans pour les régions au nord et au sud du pays 8 ,

  • population affectée prévue : 50 000 décès en cas de défaillance,

  • valeur de la vie humaine : valeur actualisée du PNB par habitant.

Les évaluations monétaires des dommages potentiels permettent d'estimer [Hubert, 1999, p. 88] :

  • Les enjeux dans les zones à risque et les dommages engendrés par un événement d'intensité donné, ou correspondant à un coût annuel moyen des dommages.

  • Ces mêmes coûts pour différentes variantes d'aménagement ou de solutions techniques.

  • La réduction des coûts des dommages attendue d'un projet ou d'une politique de gestion.

En résumé, les évaluations monétaires peuvent servir de base au choix des niveaux de protection et faire en sorte que ces choix soient présentés de manière objective. L'approche économique du risque a de nombreuses applications, la plus répandue étant celle de l'assurance : c'est bien par la comparaison des risques encourus et des recettes attendues que sont estimées les possibilités de couverture financière des risques. Nous allons cependant voir que l'approche économique n'est pas une panacée et qu'elle se heurte à un certain nombre de limites.

Exercice 4.1 : Optimisation économique : Cas de la submersion d'un batardeau. (page suivante)La recherche collective d'un degré de sécurité optimal (page Précédente)
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