Guide d'usages pédagogiques des ressources du portail Thermoptim-UNIT
Cours

2 Fondements méthodologiques

Chronologiquement, nous avons commencé par développer le progiciel Thermoptim. Très rapidement, il est apparu que son utilisation induisait un changement radical dans l'attitude des élèves vis à vis de la discipline : nous espérions une amélioration, mais sans imaginer qu'elle serait aussi nette. Pour tenter de comprendre l'accueil enthousiaste fait à cet outil à la fois par les élèves et par de nombreux collègues, nous avons mené quelques explorations sur la didactique des sciences et le cognitivisme. Considérant que les réponses à nos questions pourraient intéresser d'autres collègues, nous avons publié les résultats qui nous paraissaient les plus pertinents dans un article en deux volets du Bulletin de l'Union des Professeurs de Physique-Chimie [3, 4]. Dans ce qui suit, nous nous limiterons à présenter deux de ces résultats, dont l'influence vis à vis de nos propres développements a été la plus importante : le modèle RTM(E) [3] et la théorie de la charge cognitive due à Sweller [6].

2.1 Articulations des connaissances scientifiques : le modèle RTM(E)

Lorsqu'un enseignant veut définir le contenu de son enseignement, disposer d'une typologie adéquate pour décrire les connaissances à transmettre nous semble essentiel. Pour aborder ce sujet, la didactique met l'accent sur la distinction aujourd'hui classique entre savoir (connaissances déclaratives) et savoir-faire (connaissances procédurales). Cette distinction est bien évidemment essentielle, mais elle est trop globale pour notre propos.

Faute d'avoir trouvé dans la littérature un modèle qui réponde pleinement à notre attente, nous en avons proposé un, appelé RTM(E), dans lequel les connaissances à transmettre sont regroupées en quatre grandes catégories reliées entre elles, appelées la Réalité, la Théorie, les Méthodes (et les Exemples). Par Réalité, nous entendons le monde réel, tel qu'il existe concrètement, c'est-à-dire la nature et la technologie, les faits observés, la matière, le terrain...

L'étude de cette Réalité par l'observation, l'analyse et l'expérimentation, permet de développer ou d'affiner la Théorie, c'est-à-dire un schéma explicatif mettant en évidence les ressemblances entre les différentes observations de la Réalité, et les expliquant de manière à la fois cohérente et aussi simple et générique que possible. La Théorie d'une part constitue ainsi une grille de lecture de la Réalité, et d'autre part sert de guide pour l'élaboration de Méthodes (et/ou d'outils opérationnels) de résolution de problèmes, faisant si nécessaire appel à des concepts spécifiques.

Cette typologie nous paraît structurer de manière très féconde les connaissances relatives à une discipline scientifique, surtout si elle est complétée par les principaux Exemples d'application, qui illustrent très concrètement comment résoudre (grâce aux Méthodes et dans le cadre d'une Théorie) une classe de problèmes relative à un aspect particulier (de la Réalité). C'est en effet autour des Exemples que s'explicitent le plus clairement les liens qui existent entre ces trois pôles de référence (Réalité, Théorie, Méthodes). D'où leur importance fondamentale lors de l'apprentissage de la discipline. Il est en particulier indispensable que ces exemples soient réalistes et qu'ils montrent par quelles méthodes les théories sont mises en application. L'apprentissage d'une discipline scientifique suppose ainsi l'acquisition à la fois de connaissances déclaratives pour la Réalité et la Théorie, et de connaissances procédurales pour les Méthodes, qui correspondent essentiellement à du savoir-faire.

Nous allons maintenant montrer qu'il faut avant tout structurer les schèmes des élèves, en s'appuyant notamment sur les Exemples-clés de la discipline. Ce n'est qu'une fois que les bases sont bien acquises qu'il est possible d'approfondir les choses.

2.2 Théorie de la charge cognitive : privilégier une bonne structuration des connaissances

Sur la base d'une analyse détaillée des capacités de traitement de l'information de l'homme, Sweller a développé une théorie particulièrement intéressante à notre sens, appelée théorie de la charge cognitive. La mémoire de travail à court terme étant limitée (nous ne pouvons traiter simultanément que peu d'éléments et devons leur attribuer un sens dans un temps très bref), les capacités humaines d'apprentissage sont réduites [6]. Pour contourner cette difficulté, deux mécanismes sont utilisés :

  • l'acquisition des schèmes, c'est-à-dire la construction de modèles mentaux explicatifs appropriés, permet de décomposer l'information en éléments significatifs mémorisables ;

  • une fois les schèmes bien structurés, l'automatisation des tâches (règles procédurales) résulte ensuite de la pratique. Elle permet de retenir les méthodes de travail appropriées.

De surcroît, des surcharges cognitives apparaissent lorsque trop d'informations disparates doivent être simultanément prises en compte par l'esprit. Il importe donc de simplifier autant que possible le contenu des matériaux éducatifs utilisés, et surtout d'éviter de présenter séparément des éléments qui ne peuvent être compris qu'ensemble. Eviter ce mécanisme, dit de "split attention", doit être un souci constant lorsque l'on développe des ressources pédagogiques numériques.

Si l'on se réfère à cette théorie, il est fondamental que les élèves commencent par structurer leurs connaissances : il faut tout faire pour les guider dans cette tâche, en étant conscient qu'elle n'est pas directement intuitive, et qu'il n'y a aucune raison pour qu'ils découvrent par eux-mêmes des schèmes adéquats. Il faut les expliciter et s'assurer qu'ils sont pertinents pour eux et non pas simplement pour des experts. On notera qu'il existe ici une petite difficulté dialectique : il est souhaitable que les élèves construisent par eux-mêmes leurs schèmes, mais ils ne peuvent cependant être livrés complètement à eux-mêmes. Il faut pour cela trouver des pédagogies centrées sur l'élève et suffisamment ouvertes.

Cette théorie rejoint par ailleurs les conclusions du modèle RTM(E), en affirmant que les exemples commentés jouent un rôle essentiel dans l'apprentissage, car ils permettent d'organiser les différentes connaissances de manière concrète et réaliste. La mémorisation des Exemples-clés de la discipline, rendue possible par des imprégnations successives à l'occasion d'activités pratiques personnelles, leur permet d'ancrer dans le concret leur culture du domaine et de pouvoir s'y référer ultérieurement.

2.3 Reconception de l'enseignement de la thermodynamique appliquée

En nous basant principalement sur le modèle RTM(E) et la théorie de la charge cognitive, nous avons pu reconcevoir radicalement la pédagogie de la thermodynamique appliquée et proposer une nouvelle approche qui est très bien accueillie si l'on en juge par sa diffusion. Ses principes directeurs sont une réduction de la charge cognitive des apprenants grâce à Thermoptim et aux modules Diapason, et une meilleure structuration de leurs schèmes en nous basant sur les enseignements du modèle RTM(E).

Cette reconception comporte quatre principaux volets :

  • l'utilisation du simulateur Thermoptim permet à un élève de s'initier à l'étude des systèmes énergétiques en explorant ou en assemblant par lui-même des modèles des principales technologies de conversion de l'énergie. Celles-ci se présentant comme des assemblages de composants traversés par des fluides thermodynamiques qui y subissent des transformations diverses, on simplifie grandement les choses si on adopte une double démarche, en commençant par dissocier la représentation globale du système, généralement assez simple, de l'étude de ses différents composants considérés individuellement. La représentation d'ensemble se révèle très utile sur le plan qualitatif : elle peut être faite visuellement et permet de bien comprendre le rôle joué par chaque composant dans le système complet. Sur le plan didactique, elle est essentielle pour bien assimiler les principes de conception de ces technologies. Une fois que l'on a bien à l'esprit la structure interne d'un moteur ou d'un appareil frigorifique, l'étude du comportement de l'un de ses composants est facilitée parce que l'on comprend comment il s'insère dans le tout et quelle est sa contribution au fonctionnement global. Si l'on dispose d'un environnement graphique approprié comme l'éditeur de schémas de Thermoptim (figure 3.2), la structure interne du système peut être décrite sans aucune difficulté. On obtient ainsi une représentation qualitative très parlante, qu'il ne reste plus ensuite qu'à quantifier en paramétrant les propriétés thermodynamiques des différents composants puis en les calculant. Cette représentation qualitative présente de surcroît la particularité d'être dans une très large mesure indépendante des hypothèses que l'on retient pour le calcul des divers composants : il s'agit d'un invariant du système ;

  • la mise en application du modèle RTM(E) : afin de contourner les difficultés auxquelles l'enseignement de la thermodynamique appliquée est traditionnellement confronté, les connaissances à enseigner ont été profondément restructurées conformément au modèle RTM(E). La présentation des méthodes et des exemples est désormais basée sur l'utilisation du simulateur ce qui permet d'éviter de commencer par noyer les élèves dans des équations et des calculs rébarbatifs. Dès lors que la question des calculs est très largement résolue grâce à l'emploi d'outils logiciels, la présentation aux élèves de la réalité technologique devient la principale difficulté résiduelle : plus de 50 % du temps passé en cours est consacré à la description des machines, de leurs principes de fonctionnement et des contraintes technologiques rencontrées ;

  • l'utilisation des modules Diapason, dont l'intérêt principal est leur excellente efficacité pédagogique, notamment pour la présentation de cette réalité technologique : lors de l'utilisation de ces modules, les élèves sont plus actifs qu'en salle de cours, en ce sens qu'ils règlent eux-mêmes leur rythme d'écoute, mais surtout ils choisissent eux-mêmes les moments où ils étudient, et sont donc disponibles lorsqu'ils le font ; ils apprennent mieux, d'autant plus qu'ils ont tout loisir de revenir en arrière ou de compléter les informations qui leur sont présentées en recourant aux documents écrits. Les bandes-son ayant une durée moyenne de moins d'une minute, leur attention peut être soutenue lorsqu'ils étudient une étape, et ils ne passent à la suivante qu'après un temps de repos. Lorsqu'ils travaillent, les élèves disposent de l'ensemble des ressources pédagogiques dont ils ont besoin ; en cas de doute ou s'ils ont été absents, ils peuvent se référer sans aucune difficulté aux explications orales de l'enseignant ;

  • une approche progressive à trois niveaux et un suivi détaillé des élèves. Nous pensons que l'apprentissage est un processus itératif qui se prête bien à une pédagogie progressive, allant du simple (mais toujours réaliste, c'est fondamental) au compliqué. Pour des raisons à la fois cognitives et psychologiques, il vaut mieux, et c'est particulièrement vrai de la thermodynamique appliquée, commencer par montrer aux élèves comment le savoir qu'on leur présente peut concrètement être mis en application, en limitant au maximum les difficultés conceptuelles. Rappelons qu'ils doivent avant tout se familiariser avec une Réalité nouvelle, qu'ils ne connaissent quasiment pas, et que cet apprentissage se traduit déjà par une charge cognitive élevée. Au début, il nous semble préférable de leur montrer qu'existent des environnements comme Thermoptim avec lesquels ils peuvent "faire de la thermo sans peine" et obtenir des résultats très précis sans écrire une seule équation. Une fois que leurs réticences initiales sont vaincues et qu'ils ont assimilé le vocabulaire et les concepts de base, il devient possible de franchir une nouvelle étape et d'introduire davantage d'équations. L'expérience accumulée depuis quinze ans confirme que, une fois qu'ils ont réalisé qu'existent aujourd'hui des Méthodes très performantes pour passer à l'application, des élèves initialement très réticents vis à vis de la Théorie demandent souvent des approfondissements : dès que sont tombés les blocages psychologiques mis en place par des présentations de la discipline trop axiomatiques et très peu applicables, les élèves deviennent beaucoup plus réceptifs vis à vis des équations, sans doute parce qu'ils ne craignent plus de se retrouver incapables de les mettre en pratique. Nombreux sont ceux qui souhaitent alors en savoir plus et bien comprendre comment les calculs sont effectués.

Même si nous l'illustrons dans ce document en nous appuyons sur les solutions technologiques que nous avons développées, dont les principales sont le simulateur Thermoptim et les séances Diapason, ce nouveau paradigme pédagogique est dans une très large mesure indépendant d'elles : il peut être mis en œuvre avec n'importe quel simulateur, aussi bien dans le cadre d'un cours en présentiel pur qu'en ayant recours à des modules de formation en ligne. Nous verrons d'ailleurs que l'utilisation d'un calculateur de propriétés des fluides présenté section 3.3.2 peut suffire pour traiter les cycles de base.

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